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Évolution de la langue française
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Évolution de la langue française


points de suspension | Orthotypographie accueil |   majuscules ou capitales, minuscules ou bas de casse


Selon une étude de Françoise Argod-Dutard, notre langue compterait 33 phonèmes différents (éléments sonores du langage, sans compter, en API, les semi-consonnes [ч, w] et le [ә] caduc), pour seulement 26 lettres... heureusement, quelques digrammes (assemblages de lettres) permettent la création de sons nouveaux (ou pour le son [u] comme dans “chou”, ch pour le son [ʃ] comme dans “chou”, etc.).
Tout serait idéal si chaque son de la langue avait sa façon de l'écrire (si chaque phonème avait son graphème) et réciproquement. Une langue idéale devrait avoir une façon unique d'écrire un même son, à chaque phonème son graphème, et vice-versa. Malheureusement, il n'en est rien... le français ne compterait pas moins de 133 graphème différents et qui plus est, un même phonème peut avoir différents graphèmes, ce qui rend l'apprentissage du français très compliqué.

Un exemple simple pour vous convaincre : le même phonème [ε] que l'on retrouve écrit d'une quinzaine de manières différentes dans ver, père, tête, prêt, reine, bey, tu es, il est, robinet, taire, haie, que tu aies, paix, palais, lait, laid, mtre, balaient, Raymond ou balayons (d'accord, les deux derniers sont indentiques... si vous l'avez vu, c'est que vous ne dormez pas).


o

flo?

ø

nø

y

lyje

fleur

floʁ

jeudi

ʒødi

luge

lyʒ

jeune

ʒon

noud

nø

chute

ʃyt

cueillir

kojiʁ

pneu

pnø

tortue

tɔʁty

Un autre exemple pour faciliter les choses :

un même graphème “eu” qui se lit différemment (nous en discutions dans notre page relative au circonflexe) : premièrement [œ], utilisé pour les mots : beurre, bonheur, chaleur, danseur, fleur, heure, largeur, leur, odeur, ordinateur,

deuxièmement [ø] pour : aveu, bienheureux, chaleureux, eux, feu, heureux, jeu, joyeux, pneu, queue,

et enfin le [y] ou /u/, prononciation qui serait propre au verbe “avoir” (il a eu, tu eus voulu, il t fallu, que nous eussions...).
Ces caractéristiques de notre langue expliquent la difficulté qu'ont nos jeunes et nos amis allochtones à maitriser la lecture et la graphie du français... et nous ne parlons pas ici de grammaire...

On n'écrit plus en 2018 comme on le faisait au moment de la naissance de la langue de Molière. Les Romains n'utilisaient que des capitales, la caroline (origine de nos minuscules) n'est apparue que du temps de Charlemagne, Joachim du Bellay s'est lancé dans une première codification de la langue et L'Académie française a permis à notre langue de faire évoluer sa graphie, son orthographe, sa grammaire si bien que certains textes anciens sont aujourd'hui difficilement lisibles.

La langue de Molière n'a pas toujours eu cette prétention d'être une langue riche et pleine de nuances qui en font aujourd'hui sa richesse. Elle est issue essentiellement du latin vulgaire, c'est-à-dire d'un latin oral parlé par la populace et accessoirement d'un latin plus châtié, rapporté par les écrits d'auteurs et copiistes. De tout temps, il y a eu des résistants au changement qui ne supportaient pas d'apporter le moindre changement à la langue qu'ils avaient apprise depuis leur tendre enfance.

* Au début, du latin à la caroline
* de Charlemagne à l'imprimerie européenne
* de l'imprimerie à l'Académie française...
* Depuis l'existence de l'Académie
1694 : 1re édition
1718 : 2e édition
1740 : 3e édition
1762 : 4e édition
1798 : 5e édition
1835 : 6e édition
1878 : 7e édition
1932 : 8e édition
9e édition
* La résistance au changement
* Nos académiciens, des grammairiens ?

  

Au début : du latin jusqu'à la caroline

wahaTout le monde admet que notre bon vieux français trouve ses origines essentiellement du latin (environ 80 %), et accessoirement du grec. C'est par les Étrusques que les Latins ont emprunté aux Grecs leur alphabet et n'en ont retenu que 19 lettres. Un même mot latin a parfois généré plusieurs mots français : hospitalis serait à l'origine du mot hôtel (latin vulgaire parlé par le peuple) et hôpital (latin des auteurs et copiistes), auscultare aurait engendré écouter (vulg.) et ausculter (aut.), etc.

L'écriture latine ne connaissait que la capitale, aucune minuscule, et son support essentiel était la pierre et les monuments... ce n'est qu'à partir du 3e siècle que les caractères romains, de plus en plus souvent écrits sur des supports autres que la pierre (papyrus enduits d'huile de cèdre ; parfois enveloppés dans des rouleaux de toile fine ; en peau de brebis ou écrits sur une écorce de tilleul) ont commencé à prendre des formes plus arrondies et ont, peu à peu, donné naissance à nos minuscules. De la capitale carrée on est passé à la capitale rustique plus arrondie et plus souple.

Deux disciplines différentes sont nées suivant le type de support de l'écrit : l'épigraphie s'occupe des documents tracés sur support dur tandis que la paléographie s'intéresse plus aux écritures tracées sur un support souple, souvent d'origine organique (végétale ou animale).

liber aubierLes caractères initialement très carrés étaient une caractéristique de l'écriture sur support dur. Si l'on se limite à la pierre, on oublie les marques parfois laissées sur du bois ou du bronze (pièces de monnaie), parfois gravées sur des meubles ou sur de la poterie précieuse, mais aussi les inscriptions sur des murs.

La gravure sur bois serait d'ailleurs à l'origine du mot livre en français.
En effet, la traduction latine de ce mot serait liber (qui rappelle librairie). Ce mot a aussi donné naissance à notre mot français aubier, bois situé sous l'écorce et dont les sylviculteurs étudient avec précision chaque couche dont le détail ci contre (couche encore utilisée pour l'emballage de certains de nos fromages).

Le passage à l'écriture sur support souple a permis ou généré l'arrondissement de certains de ces caractères. L'onciale et la semi-onciale ont été à l'origine de l'écriture cursive et de l'apparition des minuscules mérovingiennes qui prenaient des formes différentes selon le lieu de leur usage.

Plus moyen de se comprendre entre Gaulois... même si les écrits étaient pour la plupart rédigés dans une langue encore proche du latin, langue officielle de l'Église et du Pouvoir.

 

 

De Charlemagne à l'imprimerie européenne

obelix à l'écoleQui a eu cette idée folle ?

Charlemagne, toujours soucieux d'unifier son empire, essaya aussi d'unifier le tracé des lettres qui présentait, selon lui, trop de variations selon l'origine régionale de l'écrit. Les graphies anciennes présentaient trop d'inconvénients majeurs. L’écriture mérovingienne était trop longue à copier et les écritures onciale et semi-onciale latines étaient difficiles à déchiffrer à cause de leurs ligatures compliquées et de leurs spécificités régionales, qui les rendaient incompréhensibles aux gens étrangers de l'endroit d'où était issu l'écrit.
La minuscule caroline naît à la fin du VIIIe siècle au cœur du royaume franc, elle est incomparablement plus fonctionnelle que ces anciennes écritures : à la fois plus lisible et plus facile à reproduire, elle s’impose en quelques années, amenant avec elle de nouvelles pratiques. 

842 serments de strasbourgC'est en 842 que fut rédigé le premier document considéré rédigé dans une langue nouvelle, la langue vulgaire parlée par la populace, écrit qui entérine la naissance du français écrit et tente de donner une reproduction fidèle de la langue parlée.
Ce texte « français » des Serments de Strasbourg, rédigés par les petits-fils de Charlemagne, est considéré comme le premier document conservé dans une nouvelle langue qui deviendra le français. Le serment de Louis le Germanique à son frère, qui s'allient contre leur troisième frère Lothaire, un an avant le fameux traité de Verdun, et la réponse des soldats (français) sont suivis de deux textes en dialecte rhénan (le francique) : le serment de Charles le Chauve et la réponse des soldats germaniques. Ainsi, les frères s'expriment chaque fois dans la langue de l'autre. [Traduction en français actuel : Pour l'amour de Dieu et pour le salut commun du peuple chrétien et le nôtre, à partir de ce jour, autant que Dieu m'en donne le savoir et le pouvoir, je soutiendrai mon frère Charles de mon aide et en toute chose, comme on doit justement soutenir son frère, à condition qu'il m'en fasse autant, et je ne prendrai jamais aucun arrangement avec Lothaire, qui, à ma volonté, soit au détriment de mon dit frère Charles. Et pour les lecteurs intéressés : 6 versions différentes : 1 latin classique (1er siècle), 2 latin populaire (7e siècle), 3 roman original (842), 4 ancien français (11e siècle), 5 moyen français (15e siècle) et 6 français contemporain dont copie ci-dessus (voir https://www.axl.cefan.ulaval.ca/­francophonie/­perioderomanestrasbourg.htm)]

Jusque vers les années 1450, tout écrit, tout livre (rare à l'époque) était un travail produit ou reproduit à la main par des copiistes, d'où les noms d'écriture manuscrite ou cursive (du latin “currere” (=courrir) qui fait allusion à lécriture courante et rapide du quotidien, souvent en lettres attachées, du commerce, de la correspondance privée), en opposition à l'écriture formelle et soignée, normalisée, souvent en lettres capitales. Grâce à l’invention de Gutenberg, les ateliers d'imprimerie se multiplièrent et la production des livres prit son essor dans toute l'Europe.

 

De l'imprimerie à la création de l'Académie française

Ce n'est pas Joachim du Bellay (vers 1550) qui a provoqué le saut en avant de l'écriture, c’est soi-disant Johannes Gutenberg qui invente la presse mécanique à l’origine de l’imprimerie dès 1450. Cependant, Gutenberg, initialement orfèvre, n'est pas à proprement parler l'inventeur de l'imprimerie car cette technique d'impression existait déjà en Asie (Chine et Corée, les innovations (dont l’utilisation d’un alliage à base d'étain, de bismuth et d'antimoine à la place du bois, un moule à fondre à la main avec une matrice en négatif du caractère, une encre très forte et grasse à base d'huile de lin et de suie de résineux [alors que l'encre utilisée par les copistes de l'époque était à base d'eau]) qu’il a apportées à la fabrication des livres ont révolutionné la diffusion du savoir en Europe.

Entre 1452 et 1454, Gutenberg se lance donc dans l’impression d'une bible de 1284 pages présentées comme des pages manuscrites et disposées sur deux colonnes. Chaque colonne compte quarante-deux lignes. Ce premier livre imprimé en série est donc connu sous le nom de Bible à 42 lignes ou Bible de Gutenberg. Environ 180 exemplaires de cette œuvre d’art furent tirés sur papier et sur vélin. 

Joachim du Bellay, en 1549, a édité sa Défense et illustration de la langue française, où il veut faire de la langue française « barbare » et « vulgaire » une langue élégante et digne. Il lui faudra l'enrichir avec ses camarades de la Pléiade pour en faire une langue de référence et d'enseignement. Du Bellay reprend dans cet ouvrage plusieurs passages du Dialogue des langues de Sperone Speroni, essai de 1542 qui confronte la langue « vulgaire » toscane (qui a donné l'italien actuel) aux langues érudites, le latin et le grec.

Geoffroy Tory, de la même époque,  propose pour la première fois en 1529, dans son traité sur le dessin de lettres le Champ Fleury, des dessins de lettres romaines mais aussi des alphabets gothiques, bâtards, tourneurs ou encore utopiques. Il envisage également la création de signes diacritiques propres à la transcription du français, notamment les cédilles et les apostrophes dans les accents graves et aigus.

 

 

Depuis l'existence de l'Académie

theatre_corneilleL'Académie française a été créée le 29 janvier 1635 par Richelieu, soit il y a années. Huit éditions achevées du DAF (dictionnaire de l'Académie française) à ce jour, soit près de années par édition.

Ce ne sont évidemment pas les Académiciens qui ont été les premiers à écrire en français. C'est toujours avec un grand plaisir que nous allons relire l'œuvre de Pierre Corneille (1664), telle que publiée à l'époque, « REVEV ET CORRIGE' PAR L'AVTHEVR » et accessible sur la page https://play.google.com/books/reader?­id=DMgvKglTegYC&hl=fr&printsec=frontcover&­source=gbs_atb&pg=GBS.PR3-IA3,
• avec les U et les V souvent confondu(e)s,
• avec l'emploi fréquent mais pas systématique des “s long” ( ſ [en caractère roman], parfois ʃ ou [en caractère italique] que l'on risque de confondre avec un " f "), ou un ( ſt ) en cas de ligature avec un "t", sauf en fin de mots,
• avec une accentuation parfois absente, parfois placée à côté du caractère à accentuer (les fins accents des caractères au plomb étaient très fragiles et cassaient facilement ; le talus supérieur ou talus de tête était souvent insuffisant et il fallait ajouter un crénage, partie saillante — surtout sur les majuscules — susceptible de se casser) [cf. page spéciale capitales accentuées],
• avec un “et” qu'on lira le plus souvent sous la forme proche de notre “&”,
• avec un emploi excessif des majuscules à beaucoup de noms communs,
• avec une présence exagérée de la lettre “y”,
• avec très peu de circonflexes, mais avec de nombreux trémas, en comparaison avec notre français actuel,
et bien sûr, avec le vocabulaire et l'orthographe de l'époque.
 

Un extrait, pas trop difficile à lire : « ... la Tragedie à moins que d’eſtre bien ménage', peut étouffer celuy qu’elle doit produire, & laiſſer l'Auditeur mécontent par la colere qu’il remporte, & qui ſe meſle à la compaſſion qui luy plairait, s’il la remportoit ſeule [...] , dautant que nous ne ſommes pas ſi méchants que luy, pour eſtre capables de ſes crimes, & en apprehender une auſſi funeste iſſuë. »

 

1re édition : 1694

Ce n'est que deux générations après sa création, en 1694, que l'Académie française a publié son premier dictionnaire. Vaugelas en a été un des premiers contributeurs, mais à sa mort, en 1650, le travail n'avait atteint que la lettre “C”.
Cependant, l'organisation de cette première édition n'était pas une organisation alphabétique, mais une organisation par racines de mots. C’est un trait distinctif capital : ainsi faim, famine, famélique, affamer sont ensemble et fond, fonds, fonder, fondation, fondement, fondamental, profond, effondrer et tirefond apparaissent dans cet ordre-là.
Nous ne les avons pas comptés, mais certains l'ont fait : 18 000 mots définis.

Dans sa préface, on peut lire : « L’utilité des Dictionnaires eſt univerſellement reconnuë. [...] Il a eſté commencé & achevé dans le ſiecle le plus florissant de la Langue Françoiſe; Et c’est pour cela qu’il ne cite point, parce que plusieurs de nos plus celebres Orateurs & de nos plus grands Poëtes y ont travaillé, & qu’on a creu ſ’en devoir tenir à leurs sentimens.
On dira peut-eſtre qu’on ne peut jamais s’aſſeurer qu’une Langue vivante ſoit parvenuë à ſa derniere perfection; Mais ce n’a pas eſté le ſentiment de Ciceron, qui aprés avoir fait de longues reflexions ſur cette matiere, n’a pas fait difficulté d’avancer que de ſon temps la Langue Latine eſtoit arrivée à un degré d’excellence où l’on ne pouvoit rien adjouſter. Nous voyons qu’il ne ſ’eſt pas trompé, & peut-eſtre n’aura-t-on pas moins de raiſon de penſer la meſme choſe en faveur de la Langue Françoiſe, si l’on veut bien conſiderer la Gravité & la Varieté de ſes Nombres, la juste cadence de ſes Periodes, la douceur de sa Poëſie, la regularité de ſes Vers, l’harmonie de ſes Rimes, & ſur tout cette Conſtruction directe, qui ſans s’eſloigner de l’ordre naturel des penſées, ne laiſſe pas de rencontrer toutes les delicateſſes que l’art eſt capable d’y apporter. 
C'eſt dans cet eſtat [de perfection] où la Langue Françoiſe ſe trouve aujourd'huy qu'a eſté compoſé ce Dictionnaire; & pour la repreſenter dans ce meſme eſtat, l'Académie a jugé qu'elle ne devoit pas y mettre les vieux mots qui ſont entierement hors d'uſage, ni les termes des Arts & des Sciences qui entrent rarement dans le Diſcours; Elle ſ'est retranchée à la Langue commune, telle qu'elle eſt dans le commerce ordinaire des honneſtes gens, & telle que les Orateurs & les Poëtes l'employent; Ce qui comprend tout ce qui peut ſervir à la Nobleſſe & à l'Elegance du diſcours. »

On observera que :
– les majuscules sont nombreuses à des mots qui aujourd'hui n'en demandent plus,
– l'orthographe utilisée est souvent celle de l'époque,
– l'accent circonflexe n'y est pas présent,
– l'accent aigu n'y est présent que sur les e finaux lorsqu'il y a lieu de les prononcer,
– souvent, mais pas toujours, ce dictionnaire préfère les voyelles suivies d'un 'ſ' long, alors que l'orthographe d'aujourd'hui accentue ces voyelles [eſtat (état), eſté (été), meſme (même), honneſtes (honnêtes)],
– le digramme “oi” remplace souvent le digramme actuel “ai” : Françoise (française), devoit (devait),
– le point-virgule était plus souvent utilisé qu'aujourd'hui, mais sans être précédé de l'espace insécable ou fine exigée à notre époque et en étant suivi d'une majuscule,
– le e final, devenu muet, qui marque le féminin, est souvent marqué d'un tréma, etc.
– quelques erreurs dans des sujets scientifiques : ne pas considérer bièvre et castor (en anglais beaver) comme des synonymes  

Notre déjeuner belge actuel s'y notait deſjeuſner (Repas qu’on fait le matin avant le diſner).

 

 

2e édition : 1718

Le tout premier accent circonflexe fait son apparition sur le seul mot « crû ».

Les voyelles longues sont encore notées avec le s long (ſ) ou avec un digramme contenant un e : adjouſter, eſtre, deſja, hoſpital, meſme, paroiſtre, plustoſt (sans ſ au milieu, car fusion de plus [s final, donc pas de s long] et de toſt), ſeur (pour l'actuel sûr), ſouſtenu, touſjours (écrit touſjours, puis toûjours, toûsjours, et finalement toujours), veuë (pour l'actuelle vue).

Notre déjeuner actuel ne s'y notait plus déjeuſner, mais deſjeuner.

 

 

3e édition : 1740

Premier tome disponible ici.

Dans sa préface, l'Académie annonce les nouveautés apportées par cette nouvelle édition :
– la chasse aux lettres inutiles (particulièrement les B, D, H et S) ;
– le remplacement de l'S qui marquoit l'allongement de la ſyllabe, nous l'avons remplacée par un accent circonflêxe (sic!) ;
– le “s long” ( ſ ) est toujours d'usage en début ou au milieu des mots ;
– la volonté d'un rapprochement entre la prononciation et l'orthographe d'un mot ;
– l'emploi des accents plus systématisé ;
trone_1740– la suppression des lettres inutiles dans un mot ou préten­dument étymo­logiques (méchanique conserve son 'h' silencieux, mais monac(h)al, t(h)résor, aut(h)eur le perdent, t(h)rône le perd aussi mais gagne un accent circonflexe [l'Académie prend soin de rappeler une dernière fois que Quelques-uns écrivent Thrône juste pour contenter les résistants aux changements]) ;
– Foi, Loi et Roi perdent leur 'y' final, mais le 'y' est conservé dans “royal”, “royaume”, “moyen”, “voyons” car ils y jouent le rôle de double “i”, ou dans “physique” et “synode” car ils se justifient là pour des raisons étymologiques

C'est la préface académique de 1740 qui recommande l’emploi du « circonflêxe » pour marquer certains issus de l’ancien hiatus eu et les voyelles suivies d’un qui, dit-elle, « marquoit l’allongement de la syllabe » : ce qui donne âgé, ajoûte, bientôt, être, fût (passé simple), honnête, ôté, plaît, plustôt, reçû, soûmettant, soûtenu, tâcher, toûjours, vûe. C'est aussi dans cette troisième édition qu'est apparu l'accent grave, jusque là absent. L'objectif était d'écrire comme on prononce.

En 1740, on y retrouve aussi des définitions qui rappellent le sens d'origine des repas, à savoir le diner, repas de midi, et le souper, repas du soir, définitions encore respectées en Suisse, Belgique, au Canada, Congo et Rwanda, dans la Vallée d'Aoste, et dans celle d'Ossau où l'ancien « dîner » et actuel « dîner » désigne encore le repas de midi que nos amis français ont décidé de rebaptiser « petit-déjeuner », sous la pression du français tel qu’il est parlé en région parisienne, nombril de la francophonie, qui nous fait oublier cet usage :
« APRÈS-DÎNÉE. ſ.f. L'eſpace du temps qui eſt depuis le dîner juſqu'au ſoir. On vous prie de paſſer l'après-dîner en un tel lieu. Je n'ai point d'affaire cette après-dîner. Il paſſe toutes les après-dînées en tel endroit. » et
« APRÈS-SOUPÉE. ſ.f. Le temps entre le ſouper & le coucher. [...] Il paſſe toutes ſes après-ſoupées en agréable compagnie. »

On constatera également que le pluriel de l'époque est conforme à celui que préconise l'Académie depuis 1990, à savoir une marque normale du pluriel, sans s'évertuer à expliquer qu'il n'y a qu'un seul diner par jour et que le nom désigne la période après un diner (comme le font certains aujourd'hui)[2].

Depuis très longtemps, le é devant une syllabe contenant un e muet se prononçait è ; ces rectifications (de 1740) ont engendré de nouveaux père, piège ou collège ce qui provoqua d'une part, la pénurie de “e accent grave” et d'autre part, la colère des résistants au changement (comme aujourd'hui).
D'après certains, cette pénurie d'accents graves aurait eu pour conséquence l'usage prolongé du e accent aigu dans événement (mais pas avènement) et les anomalies de la langue que les dispositions de 1990 ont tenté d'éliminer.

Il y a ceux qui rechignent à supprimer l'accent circonflexe là où il est inutile ou qui refusent encore ce que l'Académie a toujours recommandé, à savoir la prononciation en è du é dans toute séquence qui s'écrit é-consonne-e muet et que depuis 1990, elle recommande d'écrire avec un accent grave, conformément à la prononciation (concéder qui devient je concède, interpréter qui devient il interprète, événement qui devient évènement, pensé-je qui devient pensè-je... comme on devait les prononcer. L'Académie française et Grevisse rappelle cette prononciation[1]. Un accent aigu à prononcer comme un accent grave... c'était encore une occasion de perdre des points en cas de dictée.

Plus de 5000 mots ont changé de graphies dans cette édition.

 

4e édition : 1762

Préface disponible ici. Dictionnaire consultable en ligne ici. Version originale ici

On y compte 148 pages de plus que la 3e édition. Certaines lettres, jadis confondues, sont maintenant différenciées : « On a séparé la voyelle I de la consonne J, la voyelle U de la consonne V, […] de manière à ce que ces quatre lettres qui ne formoient que deux classes dans les éditions précédentes, en forment quatre dans celle-ci », ce qui augmente le nombre de lettres de l'alphabet de 23 à 25 et corrige l'ancien ordre Vrai-semblance (ainsi orthographié), suivi de Urbanité et le mot Utilité suivi de Vue (considéré comme un double U).

L'Académie regrette l'excès de l'usage des circonflexes introduit dans son édition précédente (à moins que ce soit les résistants au changement qui l'aient emporté), elle décide de supprimer les circonflexes inutilement placés sur de nombreux 'u' des participes passés. Elle les a gardés cependant inutilement sur de nombreux mots qui n'auraient jamais subi d'amuïssement d'un 's', dont : âcre, aîtres, alcôve, âme, arôme, août, bâcler, bâfrer, bâillon, bêler, câble, câpre, chaîne, châle, châsse, diplôme, disgrâce, dôme, drôle, empêcher, extrême, fêler, flâner, frêle, gêne, geôle, grâce, infâme, maltôte, mânes, môle, pâle, pâtir, (une) poêle, pôle, prêche, prône, râble, râle, rêne, Rhône, rôder, rôle, salpêtre, symptôme, suprême, trône, vêler (n'est-ce pas une raison suffisante pour détruire l'argument d'étymologie souvent avancé par les défenseurs de cet accent inutile ?). Encore une occasion de perturber nos jeunes dans leurs dictées.

L'emploi de l'accent grave est généralisé, mais pas encore systématisé,
le digramme “oi” est remplacé par “ai” dans les conjugaisons au futur et à l'imparfait, ainsi que dans de nombreux mots (françois, anglois, estois, feroit, etc.),

DÉJEÛNERou DÉJEÛNÉ. s.m. Le repas qu'on fait le matin avant le dîner. 
Un bon déjeûné. Un mauvais déjeûner. Qu'avez-vous mangé à votre déjeûner? Un bon déjeûner vaut bien un méchant dîner.
On appelle Déjeûner-dîner, Un grand déjeûner qui tient lieu de dîner.
Proverbialement, en parlant d'un bien qui peut aisément être dissipé en très-peu de temps, on dit, qu'
Il n'y en a pas pour un déjeûnerEt dans ce sens, on dit d'Un prodigue, d'un dissipateur qui se dépêche de manger son bien, qu'Il n'en a pas pour un déjeûner
La même phrase se dit en parlant d'Une chose dont on croit qu'on viendra facilement à bout, ou qu'on regarde comme trop foible pour pouvoir résister long-temps. Ainsi en style familier, on dit d'Une Place, d'une armée qui est trop foible pour résister, qu'Il n'y en a pas pour un bon déjeûner. (NDLR : notre actuel brunch = breakfast lunch)

 

 

5e édition : 1798

La révolution française vient de s'achever et cette cinquième édition regorge de nouveaux mots ou de nouveaux sens donnés à d'anciens mots, colorés de sang : guillotine, septembrisade, noyades...
daf 5Les temps sont perturbés. Le 5 août 1793 a lieu la dernière séance de l’Académie française et le jeudi 8 août, sur un rapport de Grégoire, la Convention nationale décide de supprimer toutes les académies.
Le Dictionnaire est au cœur de la tourmente. Il sera finalement édité en 1798 (an VII de la République) avec un discours préliminaire et un supplément qui ne sont pas le fait des académiciens. Jean Pruvost, fait le portrait de Joseph-Dominique Garat, l’auteur du discours préliminaire.
Cette cinquième édition contestée, mal reçue, occupe néanmoins une place à part dans l’histoire du Dictionnaire de l’Académie et reste l’une des plus passionnantes.

Notre « ognon » proposé depuis 1990, s'y écrivait déjà « ognon ».

Pierre Larousse, dans sa préface au Dictionnaire du XIXe siècle, fait les commentaires suivants :
"La Convention avait parlé, il fallait obéir ; les libraires n'eurent pas de peine à trouver des littérateurs qui se chargèrent d'achever l'œuvre commencée par d'Alembert et Marmontel ; mais ce que l'Académie aurait fait en un demi-siècle, peut-être, fut bâclé en quatre ans, et le nouveau Dictionnaire fut imprimé en l'an VII (1798). On conçoit aisément que l'Académie française, lorsqu'elle fut reconstituée, n'ait pas voulu reconnaître un travail auquel elle avait eu si peu de part : il ne faut donc tenir aucun compte de cette édition de 1798, et c'est en 1835 seulement que parut celle qui est réellement la sixième, et qui doit être regardée comme succédant directement au dictionnaire de 1762."

 

6e édition : 1835

Il a fallu attendre 1835 pour que l'Académie officialise la transformation des imparfaits et des conditionnels qui se termineraient désormais par « ai » et non plus par « oi ». J'aimois devient j'aimais, j'avois j'avais, croie craie, enfans enfants et la langue françoise devient enfin française.
C'est depuis cette 6e édition aussi que les mots commençant par grand ne prennent plus l'apostrophe (signifiant l'amuïssement du e final de l'adjectif), mais deviennent grand-mère, grand-place, grand-rue ou grand-tante, avec trait d'union, mais sans accord en genre de l'adjectif.

La graphie « ognon » déjà présente dans l'édition précédente voit apparaitre une nouvelle graphie « oignon ».



DÉJEUNER. s.m. (Plusieurs écrivent Déjeuné)
Le repas du matin ; ou Les mets qu'on mange à ce repas. | Espèce de petit plateau.

 

7e édition : 1878

En 1878, lorsque l’Académie avait remplacé le tréma par un accent grave sur « poésie » et « poète », des académiciens avaient menacé de démissionner.
C'est seulement en 1878 que l'Académie écrit enfin sève, piège, siège c'est-à-dire avec un accent grave sur le e de tout e muet placé devant une syllabe contenant elle-même un e muet, malheureusement événement resta oublié alors qu'il fallait toujours prononcer évènement ce qui est encore aujourd'hui une cause de maintien de l'orthographe traditionnelle.
C'est dans cette édition que poëme et poëte ont transformé leur tréma en accent grave, mais l'Académie a oublié d'opérer le même chagement pour Noël, juste pour compliquer l'apprentissage de l'orthographe pour nos jeunes élèves.

Les deux graphies « ognon » et « oignon » cohabitent pacifiquement.

 

8e édition : 1932

La huitième édition, publiée en 1935, parait plus d'un demi-siècle après la précédente et contenait environ 35 000 mots, dont seulement 38 (essentiellement d'origine étrangère) commençant par la lettre K. Elle est la seule édition paraîtra intégralement au XXe siècle, imprimée en deux tomes, de 1365 pages au total.

Cette édition change l’orthographe d’environ 500 mots dont grand’mère par grand-mère, déjà suggéré dans la sixième édition. Même si aujourd'hui, on trouve encore quelques anciens qui ont été élèves de fanatiques de l'ancienne orthographe et qui écrivent encore grand'place, on ne trouve plus de résistants actifs à la nouvelle orthographe de 1935... les résistants aux modifications de 1990 ne sont pas encore en voie de disparition...

À chaque édition, une nouvelle série de modifications orthographiques et sa phase d'ajustement avec les réactions des ceux qui trouvent que c'était mieux dans le temps, quand ils ont été contraints de se soumettre à des règles estimées alors injustifiées, inadéquates (kwa) et inéquitables (ki)...

DÉJEUNER. n. m. Repas du matin ou celui du milieu du jour. 
Son déjeuner lui pèse sur l'estomac. Les magasins restent généralement fermés à l'heure du déjeuner. Déjeuner du matin. Déjeuner de midi. Le petit déjeuner, Celui qui se prend au lever.
Il se dit aussi des Mets, des aliments qu'on mange à ce repas. 
Quel bon déjeuner on nous a servi ! Fig. et fam., C'est un déjeuner de soleil, se dit d'une Étoffe dont la couleur passe vite au soleil.
Il se dit, par extension, de Tout ce qui est vite fané, éphémère et passager.
Il désigne encore une Espèce de petit plateau garni d'une tasse, d'une soucoupe, d'un sucrier, etc. Un déjeuner de porcelaine.

 

 

9e édition : en cours d'éléboration

C’est en 1986, à l’initiative de Maurice Druon, élu secrétaire perpétuel de l’Académie française en 1985, que commença la publication, sous forme de fascicules, de la neuvième édition du Dictionnaire de l’Académie française. Une édition pas encore finalisée en 2018 dont le dernier fascicule aujourd'hui va jusqu'au mot « renommer ». Achevée, cette dernière édition devrait compter aux environs de 60 000 mots, soit près du double de la précédente version et 193 commençant par la lettre K.

Un symbole (?) signifie qu'il existe une variante orthographique pour ce mot.
Un losange (◊) signifie que la liste intitulée « Orthographes recommandées par le Conseil supérieur de la langue française, d’après le rapport publié dans les documents administratifs du Journal officiel du 6 décembre 1990 », placée en toute fin de chaque volume pour le compléter, est à consulter. Placer le curseur sur ce losange vous donnera une première information. Ainsi, à côté du mot oignon, on verra apparaitre l'écriture « ognon », à côté du mot cure-ongles, anciennement avec un -s au singulier, on découvre un « cure-ongle (sing.), pl. cure-ongles » et à côté du mot après-midi, on lira « après-midi, pl. après-midis ».
Un symbole proche de (*), placé devant certaines vedettes indique qu’il s’agit d’un mot nouveau, par rapport à la huitième édition.
Un accès direct vers cette édition on-line.

En 1990, l'Académie a accepté le fruit du travail du Conseil supérieur de la langue française, un groupe de travail réuni à l’initiative du premier ministre d’alors, Michel Rocard, et dont Maurice Druon, secrétaire perpétuel de l’Académie française, fut le rapporteur, avait planché sur une grande révision du français, afin d’en simplifier l’apprentissage. La nouvelle orthographe était née, mais la caractéristique non obligatoire des changements a fait que personne n'en a tenu compte... Le 3 mai 1990, les travaux de ce comité sont approuvés à l’unanimité par l’Académie française, puis par le Conseil international de la langue française, le Conseil de la langue française du Québec et celui de la Communauté française de Belgique, présidé par feu Joseph Hanse.
Le 6 décembre 1990, ce rapport est publié dans les documents administratifs du Journal officiel de la République française (texte accessible ici).
En 2001, la Belgique, la France et la Suisse crée le Renouvo (RÉseau de la NOUVelle Orthographe – voir https://www.renouvo.org/).
En 2008, un Bulletin officiel de l’éducation nationale française est venu rappeler que « l’orthographe révisée est la référence ». Ce que confirme, par exemple, le site de l’académie de Grenoble, qui rappelle que « les programmes 2007 (…) imposent aux profs d’enseigner l’orthographe révisée ».
Dans la réforme des programmes intervenue en France, fin 2015, on pouvait lire cette mention : « Les textes qui suivent appliquent les recti­fications ortho­gra­phiques propo­sées par le Conseil supérieur de la langue française, approuvées par l’Académie fran­çaise et publiées par le Journal officiel de la République française le 6 décembre 1990. »
Ce n'est qu'en 2016 qu'on entend enfin le ministère se prononcer : « Cette fois, les éditeurs de manuels scolaires ont décidé de tous appliquer la réforme à la rentrée. » Jusqu’ici, en effet, ils respectaient ou non les réformes ortho­gra­phiques de manière disparate. Il a fallu un quart de siècle pour que cette réforme soit désormais appliquée dans les nouveaux manuels... ce qui n'implique pas encore une modification généralisée de la part des francophones...

Quand on entend aujourd'hui le nombre de gens qui ont réagi et réagissent quand le mot « oignon » dans nos recettes françaises a perdu son nid, pour devenir « ognon », on comprend facilement que l'Académie n'ait pas voulu pousser plus loin les simplifications de la langue : un « onion » n'aurait-il pas mieux convenu à nos nouvelles recettes ? Mais cette simplification ressemblerait trop à l'anglais et tout le monde sait que le français doit fuir cette langue et « mettre fin une fois pour toutes à ces anglicismes assommants qui nous vrillent les tympans » et « bannir ceux qui, sous couvert d’« hâbler » un anglais moderne, parent en réalité une lacune en français » (encore un accent circonflexe en français qui n'a aucune raison d'exister, mais que l'Académie n'a pas encore jugé bon de supprimer). 

Écoutons un avis émis par le Conseil Supérieur de la Langue Française au sujet de la soudure des noms composés[2], extrait du texte de la réforme orthographique qui a fait couler beaucoup d'encre : « Les hésitations concernant le pluriel de mots composés à l’aide du trait d’union sont nombreuses. Ce problème ne se pose pas quand les termes sont soudés (exemples : un portefeuille, des portefeuilles ; un passeport, des passeports).

Bien que le mot composé ne soit pas une simple suite de mots, les grammairiens de naguère ont essayé de maintenir les règles de variation comme s’il s’agissait de mots autonomes, notamment :
- en établissant des distinctions subtiles : entre des gardes-meubles (hommes) et des garde-meubles (lieux), selon une analyse erronée déjà dénoncée par Littré ; entre un porte-montre si l’objet ne peut recevoir qu’une montre, et un porte-montres s’il peut en recevoir plusieurs ;
- en se contredisant l’un l’autre, voire eux-mêmes, tantôt à propos des singuliers, tantôt à propos des pluriels : un cure-dent, mais un cure-ongles ; des après-midi, mais des après-dîners, etc. De même que mille-feuille ou millefeuille (les deux graphies sont en usage) ne désigne pas mille (ou beaucoup de) feuilles, mais un gâteau, et ne prend donc pas d’ s au singulier, de même le ramasse-miettes ne se réfère pas à des miettes à ramasser, ni à l’acte de les ramasser, mais à un objet unique. Dans un mot de ce type, le premier élément n’est plus un verbe (il ne se conjugue pas) ; l’ensemble ne constitue donc pas une phrase (décrivant un acte), mais un nom composé. Il ne devrait donc pas prendre au singulier la marque du pluriel. À ce nom doit s’appliquer la règle générale d’accord en nombre des noms : pas de marque au singulier, s ou x final au pluriel. »

Concernant cet accent aigu que l'on a toujours prononcé comme un accent grave :

« Qui oserait aujourd’hui remettre en cause l’accentuation d’avènement, nom sur lequel s’est formé « événement » ? Pourtant, avènement s’est d’abord écrit « avénement ». C’est lors de la réforme orthographique de 1878 que l’accent aigu est devenu grave. D’autres mots ont suivi la tendance : « collége » est devenu collège (mais collégien) ; « siége », siège (mais siégeons) ; « Liége », Liège (mais liégeois) ; « j’abrége », j’abrège (mais abrégeons), etc. Outre la lettre « g » qu’ils ont en commun, tous ces mots se terminent par un « e » muet, qui appelle, comme nous l’avons vu plus haut, un accent grave sur le « e » précédent.

Et « événement », dans tout ça ? Pour une raison inconnue, il est passé entre les mailles du filet, alors qu’il aurait dû suivre le mouvement. La « réforme » de 1990 n’a fait que réparer cette injustice !

Contrairement aux dictionnaires usuels, l’Académie française prend parti : elle recommande la « nouvelle » orthographe, évènement, en précisant que « la graphie ancienne événement n’est cependant pas considérée comme fautive, encore que rien ne la justifie plus ». Ainsi, sur le site de la célèbre institution, on peut lire « Sabler le champagne » s’est employé pour signifier, par extension, « célébrer un évènement en buvant du champagne ».

 

 

DÉJEUNER n. m. xiie siècle, desjuner. Emploi substantivé de déjeuner II.
1. Repas du matin qui se prend au lever (on dit couramment Petit déjeuner).
Il a pris son déjeuner au lit. Que prenez-vous pour votre petit déjeuner ? Un petit déjeuner à l'anglaise. Une tasse à déjeuner, plus grande qu'une tasse à thé, utilisée au petit déjeuner. Par méton. Un déjeuner en porcelaine, ensemble comprenant la tasse et la soucoupe assorties.
2. Repas du milieu du jour ; les mets pris au cours de ce repas. 
Le déjeuner est servi. Un déjeuner d'affaires. Un déjeuner à la campagne. Dans certains pays, les magasins sont fermés à l'heure du déjeuner. Un déjeuner frugal, copieux. Un excellent déjeunerFam. Déjeuner dînatoire, qui se prolonge très tard et peut tenir lieu de dîner.   Expr. fig. et fam. C'est un déjeuner de soleilse dit d'une étoffe dont la couleur passe vite et, par anal., de ce qui est éphémère. Son bonheur n'aura été qu'un déjeuner de soleil.

Encore une occasion de constater que nos amis anglphones sont restés plus fidèles à l'étymologie du mot : le “petit déjeuner”, ou “déjeuner” des autres francophones se traduit par “breakfast” (‘to break’ = casser ; ‘to fast’ = jeuner (graphie d'après 1990 évidemment); le repas du midi (dîner des francophones, déjeuner des Français de France) étant ‘lunch’ (probable abréviation de luncheon, apparemment une altération de nuncheon, lui-même de noon « midi » et de schench « boisson » (du vieil anglais scenc, « verser »)) et finalement ‘brunch’, contraction de “breakfast-lunch” pour tout repas pris entre le matin et le midi.

 


 

La résistance aux changements...

En 2016, quand les éditeurs d'ouvrages scolaires ont décidé d'uniformiser la langue utilisée et d'adopter les rectifications et corrections d'anomalies relevées un quart de siècle plus tôt, certains grammairiens et académiciens ont réagi. Bernard Cerquiglini, mal aimé des adversaires du changement, en philosophe : « Me voici rajeuni de 25 ans ! C’est la même querelle qu’en 1990 avec les mêmes prota­gonistes et les mêmes arguments. […] Mais surtout, j’y reconnais mon “cher vieux pays souffrant”. Chaque fois qu’on parle de la langue depuis le XVIe siècle, on se divise et on se passionne. C’est étonnant. Je connais peu de pays au monde qui sont ainsi. Au fond, la langue, c’est notre identité. » C'est peut-être l’académicien Jean d’Ormesson, récemment décédé, qui a le mieux résumé l'idée générale des Français, et affirmait simplement : « Je m’en fous ! »

« Heureusement que la réforme orthographique n'est pas obligatoire, qu'elle n'est composée que de recommandations » s'exclament encore aujourd'hui, plus d'un quart de siècle après l'avis favorable de l'Académie, certains résistants... n'oublions cependant pas que l'on doit aujourd'hui enseigner le français aux enfants selon les règles de cette réforme... et qu'en toute logique, dans quelques années, elle sera appliquée et que les résistants au changement qui refusent aujourd'hui puritainement et dogmatiquement les mouvements de langue, passeront pour de "vieux cons" ou seront morts.
Rappelons que l'Académie a approuvé ces rectifications à l'unanimité le 3 mai 1990, moyennant quelques amendements et après deux séances de discussion dans la Commission du dictionnaire. C'est d'ailleurs le secrétaire perpétuel de l'Académie qui a fait rapport au Premier ministre Michel Rocard au nom du Conseil supérieur de la langue française.

Refuser l'évolution de la langue, c'est vouloir qu'aujourd'hui, toutes les femmes soient des garces, puisque ce nom désignait, au XVIe siècle, toute personne de sexe féminin, sans l'aspect péjoratif, dont l'équivalent masculin était un gars... toute jeune fille était donc une garce.
À défaut d'accepter cette évolution, on devrait peut-être dire que toutes les filles sont des poules (du latin puella, fille, employé par Cicéron et Catulle).  

Serait-ce par paresse (certains préfèrent le mot « flemme », peut-être parce qu'il y a une lettre de moins à écrire) que tant de résistants à l'évolution de la langue s'oppo­seraient encore à ces simplifications d'une langue (parfois tordue, et sans raisons...) ? Ou bien serait-ce dans le but de rendre notre langue encore plus inaccessible aux nouveaux arrivants ?

Pourquoi tant de résistance au changement ? Parce que l'efficacité grammaticale cède souvent la place à une efficacité d'usage. L'éducation et l'alphabétisation font partie du système de l'efficacité : il est souvent moins coûteux pour un locuteur quelconque de reproduire une forme apprise par l'éducation que d'en apprendre une nouvelle. C'est probablement la raison pour laquelle toutes les réformes orthographiques, même les plus anciennes, aussi « intelligentes » semblent-elles être, sont rarement, ou alors jamais immédiatement, suivies par les locuteurs : elles ne sont pas perçues comme « efficaces » dans une pratique collective et commune de la langue... c'était tellement mieux comme nous avons dû l'apprendre à l'école... et tant pis pour ceux qui devront faire autant d'efforts que nous pour maitriser cette langue difficile.

Bien sûr, la réforme aurait pu être plus profonde, mais nos académiciens ont pensé qu'il valait mieux limiter les modifications afin que les francophones aient encore l'impression de parler leur langue ;-) .
Il aurait fallu par exemple, écrire ‘sonner’ comme ‘sonore’ et ‘sonate’, ‘donner’ comme ‘donation’, puisque le double ‘nn’ n’est que la trace ancienne du fait que, jusqu’à la fin du XVIe siècle, le ‘on’ de ‘sonner’ et ‘donner’ s’est prononcé comme le ‘on’ de ‘mouton’, alors que depuis longtemps, on le prononce “sɔne” ou “dɔne”.
Plusieurs simplifications de ce type ont déjà été proposées dès les premières éditions du DAF (de l’Académie) au XVIIe siècle, la plupart ayant été acceptées, par exemple :
– la suppression des lettres muettes :
   le ‘d’, le ‘b’ ou le ‘p’ dans adjouster, adveu, debvoir et escripture (malheureusement oublié dans sculpture ou baptême),
   le ‘h’ dans autheur ou authorité…
– la simplification des lettres grecques :
   ‘ch’ (dans scolarité), ‘ph’ (dans flegme, détrôner), et ‘y’ (dans ceci, ici, voici, asile, abîme, analise, paroxisme).
– le remplacement de ‘oi’ par ‘ai’ (je chantai en français et non je chantoi en françois).
– le remplacement de la graphie ‘ign’ par ‘gn’, comme dans montagne
   (mais il restait oignon… au moins officiellement jusqu’en 1990 !)
– la suppression des consonnes doubles,
   soit parce qu’elles signalaient une ancienne voyelle nasale,
   soit parce qu’elles servaient à indiquer, quand elles suivent un ‘e’, que cette voyelle se prononce ‘é’ou ‘è’,
   ce ‘e’ pouvant être marqué par un accent
   (voir les rectifications de 1990 pour les verbes en -eler et -eter et leurs dérivés)
   sur le modèle de geler / je gèle ou acheter / j’achète).
– le remplacement des ‘es’ et ‘ez’ utilisés pour signaler que le ‘e’ se prononce ‘é’ ou ‘è’
   (comme dans estre et amitiez qui deviennent être et amitié)
   mais il reste des traces de l’ancienne orthographe dans chez et nez.
– le son ‘an’ devrait être systématiquement noté ‘an’ … et non ‘an’ ou ‘en’
   (ces deux orthographes s’expliquant en partie par des différences de prononciation qui se sont perdues,
   et non uniquement par l’étymologie)…


 

Nos Académiciens, des grammairiens... ?

Personne n'ignore que l'Académie française est constituée essentiellement d'écrivains, voire de gens qui n'ont aucune formation de grammairien, de lexicographe, de linguiste, de terminographe, de grammaticographe, de lexicologue, de morphologue ni même d'orthotypographe... Il suffit parfois d'être une personnalité...
Abel Hermant (1862-1950) présente à 18 ans son examen d'entrée à l'École normale supérieure qu'il quitte un an plus tard ; politiquement très orienté, il est exclu de l'Académie, pour faits de collaboration avec les Allemands, dix-huit ans après son intronisation,
Abel Bonnard (1883-1968) écrivain et homme politique, convaincu de fascisme, il entre à l'Académie avant la deuxième guerre et devient ministre de l'Éducation nationale ; à la Libération, il fut condamné à la peine de mort par contumace, il est déchu de l'Académie française et s'exile en Espagne,
Philippe Pétain (1856-1951, 18e fauteuil), militaire de carrière, est auréolé d'un immense prestige au lendemain de la première guerre, il devient académicien en 1929, occupe les fonctions de ministre de la Guerre, de février à novembre 1934, puis est nommé ambassadeur en Espagne, dirigée alors par le général Franco, il s'octroie le lendemain le titre de « chef de l'État français », qu'il conserve durant les quatre années de l'occupation des armées du IIIe Reich; condamné à la peine de dégradation nationale, Pétain est exclu de l'Académie à la fin de la seconde guerre;
Paul Valéry (1871-1945, 38e fauteuil) entame des études de droit à 18 ans; puis se lit d'amitié avec Pierre Louÿs, André Gide puis Stéphane Mallarmé;
Anatole France (François Anatole Thibault [selon l'état civil], 1844-1924, 38e fauteuil) militaire sous-officier, mais fils de libraire et bibliothécaire, il travaille d'abord pour diverses librairies et revues; puis il devient commis-surveillant à la Bibliothèque du Sénat; il est une des consciences les plus significatives de son temps en s’engageant en faveur de nombreuses causes sociales et politiques du début du xxe siècle et fut un grand ami de Jean Jaurès et devint enseignant à l'École supérieure de journalisme à Paris;

Voici ce que le grammairien latin Varron (De lingua latina) pensait de cette question.
 
« Populus enim in sua potestate, singuli in illius : itaque ut suam quisque consuetudinem, si mala est, corrigere debet si populus suam. Ego populi consuetidinis non sum ut dominus at ille meae est. »
« Le peuple relève de lui seul, tandis que l’individu relève du peuple ; de sorte que le peuple peut corriger sa manière de parler, de même que chaque individu peut corriger la sienne propre, si elle est vicieuse. Je n’ai pas le droit d’imposer mon usage au peuple ; mais le peuple a le droit de m’imposer le sien. »
 
Si l’on remplace « peuple » par « cour », on aura à peu près la position du grammairien Vaugelas au dix-septième siècle : le locuteur doit abandonner les tours en usage « à la ville » pour adopter ceux de la cour. 
La grammaire de Grevisse a pour titre « Le Bon Usage » ; chez G., c’est une notion assez souple : il observe, il enregistre, il distingue l’usage commun (qu’il faut suivre, si possible) et celui des écrivains, qui sont plus libres que nous, et que nous pouvons suivre – ou non.

.

 

 

 

[1] https://www.academie-francaise.fr/questions-de-langue#41_strong-em-inversion-du-sujet-je-puis-je-em-strong
Dans certaines phrases, en particulier dans les phrases interrogatives, exclamatives, dans les propositions incises, l’inversion du verbe et du sujet est requise. Quelques usages sont à connaître lorsque c’est le pronom personnel je qui est en position de sujet :
[...] – si le verbe se termine par un e, il convient de changer ce e final, habituellement muet, en é (que l’on prononce è) Pensé-je juste Dussé-je partir ? « Je vous rappellerai demain, ajouté-je avant de raccrocher. » Depuis les rectifications de l’orthographe de 1990, la graphie avec accent grave est également admise aimè-je, puissè-je, trompè-je.

De même, Le Grevisse de l'étudiant, grammaire graduelle du français , Cécile Narjoux, Éd. de Boeck, 2018, p. 319
 

[2] https://www.pierrebouillon.com/search/label/apr%C3%A8s-d%C3%AEn%C3%A9e : Pierre Bouillon, après-dînée, après-soupée
 

[3] https://fr.scribd.com/doc/297920633/Les-rectifications-de-l-orthographe



Voir aussi :

et les caractères spéciaux avec "alt"... toujours utile... touche alt

caractère
capitale
À Â Ç È É Ê Ë Î Ï Ô Ù Û Ü
alt + 4 chiffr. 0192 0194 0199 0200 0201 0202 0203 0206 0207 0212 0217 0219 0220
alt + 3 chiffr. 183 182 128 212 144 210 211 215 216 226 235 234 154
 
caractère
bas d casse
à â ç è é ê ë î ï ô ù û ü
alt + 4 chiffr. 0224 0226 0231 0232 0233 0234 0235 0238 0239 0244 0249 0251 0252
alt + 3 chiffr. 133 131 135 138 130 136 137 140 139 147 151 150 129
 
caract§re
autre
« » œ æ Œ Æ esp.
inséc.
"
alt + 4 chiffr. 0171 0187 0156 0230 0140 0198 0133 0160 0147 0148 0034 0145 0146
alt + 2 ou 3 chiffr. 174 175 339 145 338 146 / 255 / / 34 / /
 
caractère
autre
¡ ¿ ¼ ½ ¾ ± ñ Ñ . .
alt + 4 chiffr. 0150 0151 0161 0191 0188 0189 0190 0177 0241 0209 0128 0 0
alt + 2 ou 3 chiffr.     173 168 172 171 243 241 164 165 / / /

Si vous n'avez pas de pavé numérique sur un ordi portable,
il suffit d'appuyer sur les touches Fn et NumLock (Inser) en même temps,
et le pavé numérique sur les touches
clavier numérique7(7)   8(8)   9(9)   0(/)

U(4)   I(5)   O(6)   P(*)

  J(1) K(2)   L(3)   M(-)


  ?(0)           /(.)   §+(+)

(la dernière ligne/colonne est/sont différente(s) selon les claviers belges, français...)
 
 


 
sera activé
et les raccourcis Alt + code chiffré fonctionneront.

 

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